Version française
Préamboule
Son Altesse Lab m'a gentiment refilé le bébé. Il cherchait un stage en duo, avec la Cagouille, mais il n'y avait de place que pour une personne sur ce plan, et il savait que je serais intéressé.
J'ai postulé sans y croire. Le cadre était un peu trop beau pour être vrai : une sorte d'agence de voyage, au soleil, avec une équipe internationale.
L'encart s'adressait à une personne un peu plus âgée que moi, et il était question de faire des choses que je ne connaissais pas vraiment, mais pas loin...
Soucieux de ne pas être mis à l'écart pour si peu, je me suis empressé d'exposer ma très grande motivation, tout en faisant remarquer que si l'on se basait sur la date de mon immaculée conception, j'avais quasiment l'âge requis...
Entretien bigophonique en anglais : j'imagine alors parler à un vieil Hollandais un peu baba-cool sur les bords. Un ex-soixante-huitard venu réchauffer sa carcasse au bord de la mer Méditerranée. Un œil sur les minouches, l'autre sur son verre de margarita.
Son assistante me rappelle dans la foulée pour m'annoncer que ma candidature a été choisie parmi celles de treize postulants (mazette..). Le tout avec un terrible accent espagnol. Raison de plus de se motiver.
C'est quand même pour apprendre cette langue qu'il est question d'aller là-bas (et aussi, mais juste un peu, pour dire au revoir à la douce vie étudiante, sous le soleil exactement).
Les premiers échanges sont positifs. Ces gens doivent avoir bon fond pour accepter de m'embaucher, alors que j'ai à peine trois mots de vocabulaire en espagnol.
Mais la confiance s'effrite pas mal en recevant le contrat, écrit avec les pieds et quelques clauses abusives. Malgré un léger amendement concédé seulement, je me lance en me disant que si les journées ne devaient pas être si joyeuses, on devrait pouvoir se rattraper sur les nuits étoilées...
Je me pointe à l'heure indiquée sur mon contrat. Personne. J'avais pourtant pris soin de repérer les lieux...
Je patiente en me disant que la petite start-up a encore déménagé, que l'on a juste oublié de me prévenir. Je vais juste devoir trouver un moyen de rétablir le contact... j'ai aussi le temps de me dire que l'aventure va peut-être tourner court...
Au bout de trois quarts d'heure, un type assez jeune arrive. Je lui demande s'il travaille là. Il me répond qu'il est le docteur Daniel Schpohn, directeur de la société. Il sourit de ma petite mésaventure et me guide dans son antre commercial.
On se détend...
La veille, j'ai emménagé avec deux Espagnoles et une Argentine, à Badalona. Je pensais que c'était "Badaluna" à ce moment là. D'autres diront "Belladona" par la suite. Sans doute en hommage à une belle Italienne.
L'appartement est immense par rapport à celui que j'ai visité deux jours avant, dans les quartiers nord de la ville. Tout juste bon pour jouer à la dînette, en comparaison. Celui-ci est en dehors de Barcelone, mais le coin est très sympa. La plage est à cinq minutes à pied (sur le chemin de la gare), et ça reste à un quart d'heure en train du centre... il y a des bus la nuit aussi, l'affaire s'annonce donc beaucoup mieux de ce côté-là...
L'abréviation du nom de la société qui m'accueille est la même que celle utilisée par d'autres pour parler de la mafia (La Cosa Nostra). Drôle de coïncidence...
Comme prévu, il y a un très bon côté, avec la mixité des employés, qui viennent du monde entier, enfin, essentiellement des quatre coins d'Europe, et un peu d'Amérique latine et d'Asie aussi.. on me présente très brièvement le premier jour, je me retrouve donc très vite dans un bureau, prêt à travailler.
Un papier placardé attire mon attention.
Il est écrit dessus que l'on doit éviter de parler avec ses collègues, qu'il est inadmissible de faire du tchat ou encore de consulter ses emails personnels pendant les heures de bureau, bref, que l'on doit se dévouer corps et âme et que tout se passera bien si on est gentil et si l'on ferme bien sa gueule. Je me dis que ce n'est pas sérieux, que c'était juste pour faire bien, un jour, devant des clients ou des investisseurs... mais non, le deuxième jour, Fabiola me fait signer une copie de ce papier. Soucieuse, certainement, de m'ôter le moindre doute...
Je m'étonnais aussi que tout le monde soit si calme, si studieux, pour ne pas dire amorphe...
Ca fait bizarre, après avoir passé du temps dans une boîte où ça gueulait, fumait et picolait à gogo...
Ma chambre, encore en construction. J'ai tenté, avec les moyens du bord, d'élargir quelque peu les perspectives offertes par la photo originale...
Il a fallu que je mine le bureau de clous pour qu'il tienne debout. Il n'arrivait pas à soutenir son propre poids avant... il me manque encore une couette qui devrait arriver d'ici la fin de la semaine et j'aurai quelque chose d'assez correct.
On remarquera les lignes de fuite non parallèles et la machine à laver derrière la fenêtre (elle donne sur une petite cour intérieure dédiée à l'art de la buanderie). Il y a une salle de bain juste à côté de ma chambre, avec encore une petite fenêtre à gros grain, donnant sur l'ascenseur.
Un peu surpris, la première fois, par cette lumière tamisée, glissant silencieusement de bas en haut...
Un brin de causette avec Ariane aujourd'hui. Elle s'occupe des clients et des traductions en français... elle m'a froidement confirmé qu'il y a bien une ambiance glaciale en permanence.
Il ne fait vraiment pas chaud en plus, des températures inhabituelles pour la région (l'isolation n'est pas prévue pour et le chauffage est très insuffisant).. je ne désespère pas malgré tout de voir un putain de bordel ici par moments, entre elle et son pote italien (Lucio), Feliks, un Autrichien qui pourrait sortir tout droit d'une teuf sous acides, Anne Floor, une Hollandaise qui semble se la jouer "Kylie Minogue de 20 ans" et surtout le mec en face de moi qui a toujours l'air un peu énervé.
Je suis sûr qu'il a déjà posé des bombes...
Avec ces quelques personnes déjà, et peut-être avec le renfort plus ou moins volontaire de deux ou trois autres, le Polonais qui vient d'arriver comme moi et qui galère lui aussi en espagnol, mon collègue brésilien qui a un petit air de François Morel ou encore les deux filles aux accents espagnols, surtout celle qui ne traîne pas trop avec le boss (Sandra, une vrai crème. L'autre, c'est Fabiola, la femme de l'homme pressé. Elle nous a tous embauchés et se révèlera pire que lui au final)... il y a aussi une Irlandaise et une Allemande, mais elles sont plus discrètes, je ne parle pas de la Japonaise qui est un peu la femme invisible, pour le moment du moins. Qui sait, elle se révelera peut-être sous la forme d'une sorte de yakusa qui pourrait obliger ce satané boss à se lâcher un peu...
En attendant, des soirées s'organisent. Petit à petit, nous passerons une bonne partie de nos week-end ensemble pour certains... de longues longues nuits aussi..
Voici le bord de mer à Badalona, la nuit, au moment où je le fréquente le plus... comme je n'emmène pas souvent mon appareil avec moi pour le moment et que je vais avoir du mal à faire une photo correcte d'un paysage de nuit de toutes façons, je me suis dit que j'allais tenter de le dessiner.
Belle preuve d'inconscience.. je montre le résultat malgré tout...
Dans l'espèce de ciel, ce sont des étoiles et non de la neige. Il y a eu quelques flocons ici, mais c'est du pipi de chat par rapport à ce que subissaient les Parisiens au même moment... le petit point rouge n'est pas une planète avec des monstres dessus, mais un avion qui arrive sur Barcelone. La plage est pas mal éclairée. Il reste des coins sombres pour que les gens puissent se peloter en paix, mais cela cause tout de même une certaine de pollution lumineuse. On les voit peut-être un peu moins bien ces étoiles, en réalité..
Il y a des trains qui passent derrière la plage si jamais les touristes s'ennuient, à force de regarder les mouettes et les vagues.
Des palmiers aussi, tout du long. J'ai également représenté le jeu pour les mômes, squatté par des plus grands, le soir. Du côté du béton, il y a un McDo et un Burger King, qui, pudiquement, ne sont pas représentés ici. Les autochtones veulent faire partir toute cette vermine du quartier (une tombola était organisée l'autre jour entre les deux échoppes bariolées, avec un slogan en catalan du genre "Bottons le cul aux fast food et à leur bouffe de merde" !).
Enfin, au fond, des cheminées, posées là par des extra-terrestres paraît-il. Ca cache un peu Barcelone, mais c'est plutôt joli la nuit, avec les lumières rouges, tamisée par les fumées de la zone industrielle. On dirait qu'il y a une sorte de gigantesque panneau solaire, juste devant. Ça m'intrigue, il faudrait que j'aille examiner ça de près un de ces jours.
Je ne suis pas le seul à flâner dans les rues le soir. C'est plus calme sur la plage, la semaine en particulier. Ça fait du bien aussi, après les nuits blanches de Barcelone.
Si seulement je savais bien dessiner les monstro-plantes...
On m'a appris ce week-end qu'en tant que particule du cosmos, j'avais le droit d'essayer de le représenter sous la forme d'un mandala, un cercle dans lequel tu peux dessiner ce que tu veux, avec de la couleur itou itou.. il y en a des dizaines sur les murs de l'appart d'Erica (ma collègue irlandaise), la plupart viennent d'un livre photocopié qui propose des modèles "pré-dessinés" qu'il suffit de colorier.. mais c'est encore mieux si tu dessines toi-même d'après Alfonso..
Magnéto Serge..
Il paraît qu'il y existe une île, en Grèce, sur laquelle la méditation serait favorisée par le géo-magnétisme. Mon informateur, un hippie grec d'origine suédoise, m'a dit qu'il se souvenait parfaitement de sept ou huit de ses rêves lorsqu'il dormait sur cette île, bien plus que le reste du temps... il m'a aussi confié qu'il était interdit d'y passer la nuit.. je me demande s'il se cache le soir quand le marchand de sable vient évacuer l'îlot... il a ensuite commencé à se rapprocher de moi et à me parler en me mettant la main sur la cuisse. Comme je n'avais pas envie d'expérimenter le pouvoir géo-magnétique du barbu, je me suis esquivé en allant me réfugier auprès d'un groupe de jeunes filles parmi lesquelles se trouvait Claudia, une collègue de Cologne (pas qu'elle se parfume trop, elle vient vraiment de Köln..).
La chaglatte sur un toit brûlant...
Elle m'a raconté une histoire amusante aussi. Apparemment, il faudrait que l'on squatte sur le toit de son immeuble (qui est accessible à tous les locataires mais assez peu utilisé). Elle parlait même de cuisiner des gâteaux de l'espace pour profiter encore mieux des lieux (je pensais qu'une plage ou un truc dans le genre serait un endroit moins dangereux pour de telles expérience, mais il faut vraiment le vouloir pour tomber de ce toit d'après elle..). Bref, elle me dit ensuite que sa colocataire espagnole a organisé un dîner sur ce toit récemment, et qu'il était complètement partie en sucette, enfin, en partie fine pour dire les choses clairement (idée au demeurant assez choquante pour ma collègue)... il y aurait donc de vraies bacchanales improvisées certains soirs sur les toits de Barcelone...
L'alcoolisme ruine la santé et amène la misère dans la maison...
On est passé dans un bar belge où se trouvaient de magnifiques affiches, on a perdu beaucoup de monde quand il a été question d'aller encore ailleurs. J'aurais peut-être dû prendre le chemin du retour à ce moment là moi aussi. Après une longue marche, nous nous sommes retrouvés dans une vraie discothèque bien comme il faut, de quoi vous faire regretter les booms et la dance music.. l'expérience aurait peut-être été amusante plus de cinq minutes si la fatigue n'avait pas commencé à se faire sentir aussi durement.. paies ton retour à la rame ensuite...
Vous déconnez trop les jeunes, là. Croire que parce que vous faites un stage, vous allez progresser et être considérés autrement que comme de la main d'oeuvre extrêment bon marché... il faut vraiment être naïf et ne pas vous étonner si on vous exploite à mort ensuite...
C'est pas normal ? Mais rentrez chez vous si vous n'êtes pas contents, on a des dizaines de CV en attente, c'est pas vos jérémiade qui vont nous empêcher de faire du pognon sur le dos des stagiaires quand même ! Si vous pensz qu'on n'a que ça à faire, vous écouter pleurnicher...
Qui a dit qu'on n'abusait pas qu'avec les stagiaires ? Vous croyez qu'on va se les payer comment, la villa sur une île, en plus de notre appart' face à la mer, et le voilier pour faire la liaison, hein ?
Alors vous fermez vos gueules, et vous nous laissez chronométrer votre vitesse de traduction pour instaurer une compétition honnête et stimulante. Pareil pour les affaires traitées et toute votre putain de productivité. Et toi, au fond, qui hoche la tête, tu viendras me voir à la fin de la réunion ! Qu'est ce que c'est que ces manières... tu sera privé de tickets restos jusqu'à la fin du mois ! Tu n'auras plus de quoi te payer à manger du coup ? Je ne veux pas le savoir...
Et vous me nettoyez un peu cette porcherie aussi, c'est vrai quoi, c'est pas parce que l'on ne fait pas venir la femme de ménage suffisamment souvent que vous ne devez pas passer un petit coup à sa place de temps en temps... merde, mais qui m'a fichu de pareilles feignasses... il va encore me falloir une bonne matinée de shopping pour m'en remettre...
Ahhhh, Fabiel et Daniola, sortez de mon corps !!!
J'ai failli suivre mon premier cours d'espagnol aujourd'hui. Dans une petite classe, blindée de Chinois. Enfin, surtout de Chinoises. Ma voisine, très bavarde, me présente à toute la classe une fois que j'ai écrit mon nom sur un papier pour l'aider à le prononcer. Je ne me rappelle plus bien du sien, elle me l'a juste dit, quelque chose comme San Ua... son amie s'appelait Yun Yun, enfin, c'est la transcription qu'elle a fait pour que je puisse le dire. Certains élèves avaient l'air d'être en famille, notamment une ou deux gamines de douze ans qui semblaient accompagner leurs mamans.
La plupart ont la quarantaine, tout comme San Ua qui me dit avoir vécu deux ans à Paris. Je ne sais pas ce qu'elle y a fait, mais ce n'était pas spécialement pour apprendre la langue je crois. Elle essayait de m'expliquer des choses par rapport à la Tour Eiffel (dont elle m'a demandé le nom plusieurs fois à l'aide de grands signes, je ne sais pas si ses employeurs la laissaient souvent voir le jour..). Son accent espagnol était assez inhabituel pour moi, mais elle était tellement motivée qu'elle arrivait à se faire comprendre...
Le prof est arrivé. Il a fait l'appel, et devant le nombre d'absents, je me suis demandé comment ils se débrouillaient si tout le monde était là certains jours (quarante dans une classe de 15 m², ça ne doit pas être la fête du slip..).
Il m'a interrogé un peu, pour essayer de comprendre comment j'avais atterri là, avant de me conseiller de revenir au cours du lendemain, fréquenté par plus d'européens. Les problèmes rencontrés avec l'espagnol ne sont pas les mêmes selon les langues natales, et il disait que j'allais mieux progresser dans une classe avec des collègues dont les idiomes sont plus proches du mien.. on verra bien, mais j'étais un peu triste de partir si vite, alors que je me voyais sur le point de m'intégrer à la communauté chinoise de la ville.. impatient de me retrouver certains soirs, après les cours, à écouter des mystères d'Orient en mangeant du canard laqué dans de petites arrières-salles parfumées à l'encens...
J'ai tenté de me remonter le moral en croquant un chinois ensuite, mais j'étais revenu en Occident entre temps, et ça n'avait plus du tout le même goût...
Le soleil reprend ses droits, et les journées passent de plus en plus vite. On essaie d'allonger les pauses du midi, dans les parcs, sur les marches d'une église donnant sur une place très agréable... ou encore en terrasse, ou au fond de petits restos super accueillants. Là encore, ça papote dans toutes les langues... l'équipe change, mais ceux qui sont encore dans le coin viennent nous dire bonjour parfois, au cours de ces pauses salvatrices. On se voit le soir sinon...
Il y a même un ou deux week-end passés tous ensemble. Le premier se déroule très tranquillement, du côté de Pineda del Mar. Nous suivons une ligne de chemin de fer collée à une mer qui n'arrête pas de scintiller. C'est un moment à part : on est en vacances, tout en se sentant un peu à la maison. Les touristes sont plus rares qu'en ville, et ça fait du bien. Le soir, on chuchote dans les tentes, pour ne pas troubler le flux et le reflux des vagues toutes proches. L'ambiance détestable de l'agence est restée à Barcelone avec tous nos ennuis...
Le second week-end, organisé par notre très cher employeur, aurait pu mal se terminer, mais nous en garderons quand même un bon souvenir.
C'est aussi une période propice à d'étranges songes...
Dernière journée d'Ariane. Rendez-vous à 21h30 au Théâtre, un bar proche du boulot, avec un grand patio où l'on boit de la bière bon marché. Des odeurs de chichon encensent en partie les lieux.
On se pose juste à côté finalement, un endroit moins fréquenté, avec un serveur qui nous connaît. C'est le retour de Marcin (parti depuis une semaine à l'amiable), accompagné de sa dulcinée, Alessandra, l'Italienne qui a remplacé Lucio chez les Thénardiers.
Alice, qui prend le fil d'Ariane, est aussi de la partie. Quelques Italiens complètent le tableau...
On enchaîne deux-trois bières et une tentative d'explication du terme "humusexuel" tout en grignotant des tapas homonymes du milieu, sans oublier de prendre des nouvelles du déserteur.. on se donne des rendez-vous tout en faisant le point sur cette équipe qui change.. deux sets, et c'est déjà l'heure de rentrer (dernier train à minuit). La plage et ses bancs éclairés permettent des prolongations imaginaires dans mon cahier d'écolier.
Un tout petit détail en chemin m'a ramené à un autre soir où j'avais gentiment halluciné...
Deux demoiselles passent devant moi pour monter dans le train. Je dis demoiselles parce qu'il y en a une qui a un joli minois, pas trop candide pour autant, enfin, une fille pas mal du tout. Sa copine évoque plus la gagnante d'un concours de Miss Poufiasse (je n'aime pas du tout sa bouche, sans doute à cause d'un piercing disgracieux à l'ourlet de ses lèvres).
Le train démarre, et je fais un blocage en saisissant au vol la migration des deux tourterelles vers les toilettes. Mon imagination ne fait qu'un bond.
Il y en a une sur les genoux de l'autre, elles s'embrassent tendrement, tout en caresses..
Il faut penser à autre chose. Mon collègue poseur de bombe qui rote bruyamment par exemple. Un jour, il va nous tuer avec son haleine de chacal.
Il y a du mouvement du côté des gogues. Je relève la tête. Un homme, la cinquantaine décente, père de famille sans reproche, entre. Il ressort rapidement, comme s'il n'était pas tranquille. Il n'a pas l'air troublé outre mesure pour autant. C'est quelque chose de courant, par ici ?
Elles l'ont sans doute ignoré, et dès sa sortie, elles ont commencé à se déshabiller, tout doucement. Elles connaissent parfaitement le sens du mot langueur.
Il me faut une autre image, pour arrêter de m'enflammer.
La vieille femme de ménage ! On dirait une caricature de dessin animé. Il faut la voir passer les lavabos à la scie circulaire, ça brille comme jamais ensuite... fini le calcaire...
Dans les toilettes, il y a de la buée sur les vitres, les soupirs montent...
Impossible de se retenir plus longtemps, je me téléporte, mon pied pousse lentement la fine couche de plastok qui les protégeait encore des curieux...
Il n'y a personne. Lorsqu'elles ont ouvert la porte, j'ai détourné la tête pour chasser le fantasme qui naissait au fond de ma caboche. Elles ont seulement jeté un coup d'oeil avant de passer le sas.
A travers la vitre, je les vois dans l'autre wagon, indifférentes.
Et j'entends le rire de dindon de mon deuxième collègue de bureau, comme dans les moments où il perd son sang-froid. Il se met alors à dodeliner de la tête, comme s'il cherchait à remettre son cerveau en place. Il me nargue, lui qui d'habitude me demande des conseils pour parler aux filles sans les effrayer...
Ce soir, c'est moins dans ma tête que l'histoire se passe. Une nana mange des graines de tournesol en semant les copeaux autour d'elle. La porte des toilettes s'ouvre. Elle rejoint quelqu'un à l'intérieur.
Ca se passe pour de vrai ce coup-ci.
Ils vont jouer à la bête à deux dos, et le chuintement de leurs mouvements se confondra avec celui du train sur les rails ! C'est une histoire de schnouf sinon, je ne vois pas d'autres raisons de s'enfermer à deux dans les toilettes pourries d'un pseudo-RER.
Quelques minutes plus tard, elle ressort en se frottant les narines. Un rail de colombienne suivi d'un baiser fougueux ? Son complice sort également. Ils filent tandis que je me dis que je ne ferai sans doute jamais cette expérience. De peur de ne plus être en état de la raconter après ?
Les vagues calment le jeu, et je prends le temps d'écrire tout ça dans mon petit cahier à spirales avant d'aller cuver dans mon pieu.
Il fait drôlement chaud d'un seul coup. On dirait que ma couette et mes oreillers me jettent littéralement hors de ma chambre.
Un petit papillon blanc sort de mon petit placard perso, dans la cuisine.
L'appartement est vide et je pars à la cueillette, sur la plage.
Des ombres dansent autour de feux follets. Fasciné et un peu inquiet, je m'esquive. Marcin est chez lui quand je sonne à la mini-porte de son immeuble. Il me suit du côté de la Barcelonneta.
Nous éclusons quelques bières en discutant sur un banc. Cela nous permet - sans même nous en rendre compte - d'oublier les fantômes qui passent tout près de nous : des types avec des couteaux à la main, prêts à détrousser le premier touriste égaré. Il y a des groupes de vacanciers aussi, malheureusement... pas toujours très fins, quand ils ne sont pas tout simplement insupportables. Ils pensent que l'on ne comprend pas leur langue et se croient tout permis. Peut-être même qu'ils imaginent que l'on ne les voit pas, ces blaireaux (l'alcool fait vraiment passer en mode con parfois...).
Je suis catapulté dans un taxi. Ariane me parle de rencontres étranges qu'elle a fait le week-end précédent.. j'ai besoin d'air, tout tourne tellement vite... il est question d'une personne qui revient sans cesse et qu'elle aurait étonnamment repéré.. une naine qui boîte.. quand je rouvre les yeux, je suis sur le canapé, une cuvette vide à mes côtés... encore un appart' déserté par ses occupants...
Dehors, la ville aussi est quasiment vide. Il fait toujours nuit. Où sont tous ceux que l'on croise habituellement ? Marcin à nouveau, qui se balade sur les toits, à la recherche de sa belle. Elle est déjà partie pour New-York ? Il y a comme une incohérence, mais cela ne nous empêche pas de continuer à dériver.
Des choses étranges ont lieu, sur la Plaza Catalunya, en contrebas. Quelques cyclistes décrivent des cercles autour de la rosace centrale. Les rares passants font un détour. J'ai bien peur de discerner une tâche de sang qui s'étend au milieu.. et je me retrouve sur la plage, au lever du soleil.. tout semble excessivement réel, le sable me glisse entre les doigts, le clapotis de la mer est tout proche.. encore des gens qui dansent.. un peu flous... enlacés...
Je refais surface. Un malaise. Le vertige apparemment.
Nous redescendons vers Urquinaona pour passer rapidement au bureau. Marcin me dit qu'il a les clés et que l'on va s'y poser deux minutes pour boire un verre d'eau, peut-être trouver quelque chose à manger dans le frigo, des fois que je fasse une petite hypoglycémie.
Feliks fonce sur nous quand nous entrons. Il nous regarde comme si nous étions fous, et nous pousse vigoureusement vers le bureau du fond. Sergio est là aussi. Il a pris la place de Jefferson et travaille avec de petits gestes mécaniques sur une espèce d'horloge électronique. On dirait qu'il dort debout. Feliks nous explique que c'est vraiment le cas, que Fadiole et Baniola se sont lancés dans d'étranges expérimentations à base d'images subliminales. Ils nous les passent quotidiennement sur les écrans. Ceux qui sont suffisamment imprégnés reviennent au milieu de la nuit pour faire des heures supplémentaires. Ils apprennent leurs tâches nocturnes de la même façon, pendant la journée.
Ce que nous dit l'Autrichien sur la fin est assez confus, comme si nous ne pouvions saisir que des bribes de ce qu'il raconte (peut-être qu'il parle un peu allemand et trop rapidement... impossible de comprendre ce qui se cache derrière cette expérience, à long terme... des histoires des prise de pouvoir, pour l'Europe, voire pour le Monde...). Il essaie de nous expliquer ce qu'il prépare pour les délivrer, en agissant discrètement, de l'intérieur. Il faut que nous partions tant que les deux fadas à l'origine de tout ça ne font pas mine de sortir de leur bureau. Avant de passer la porte, nous pouvons voir Erica, au fond, penchée sur un plan, avec une règle et un crayon, Ariane aux prises avec des liasses de billets et des carnets, Lucio en peine à cause d'une caméra miniature à bricoler, Sandra et Rutger sont là aussi, mais je n'ai pas eu le temps de saisir ce qu'ils faisaient. Marcin me dit qu'ils étaient en train de coudre des tissus qui ressemblaient à de la peau. Il a aussi vu Claudia et Anne-Floor dans leur bureau. Il n'en est pas tout à fait sûr, mais il pense avoir vu des armes à leurs côtés.
Nous partons en courant, poursuivis par les dernières paroles de Feliks. "Si vous parlez de tout ça, des pygmés enragés armés de sarbacanes empoisonnées seront envoyés à vos trousses par les deux fous furieux qui contrôlent tout ce bazar..."
Je me réveille une nouvelle fois, dans un train à destination de Blanès. J'ai rêvé tout ça ? La lumière est étrange. Je n'ai jamais suivi cette ligne aussi loin durant la nuit. Est-ce encore un lever de soleil ? Un nouveau crépuscule ?
La rame est vide, mais il y a des tas de gens dehors, en maillot de bain, étranges et immobiles.
Plus tard, je suis de retour à Barcelone. Je reviens de Paris. Je suis dans un bus et j'ai des photos de l'appart de M. entre les mains. Erica m'accueille chez elle. Un de ses amis était là aussi. Il vient de partir, et elle me fait des confidences sur lui.
En français seulement, avec une touchante pudeur.
Les travaux reprennent juste à côté, et des files entières de blattes s'enfuient dans les couloirs, à la recherche d'un immeuble où l'on ne joue pas au marteau piqueur.
Et je crois que c'est là que je me réveille pour de bon. Je suis quelque part en région parisienne, dans des bureaux tout neufs, avec de nouveaux visages autour de moi. Ils essaient de sourire, mais j'ai l'impression qu'ils ont un peu du mal eux aussi, malgré leurs emplois avec des opportunités d'évolution, de possibles augmentations...
Si nous sommes gentils et si nous ne l'ouvrons pas trop...